La création du Front National en 1972 intervient après une période où l'extrême droite sort exsangue des combats de l'Algérie française (la candidature de Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat des partisans de l'Algérie française et de l'extrême droite et dont Jean-Marie Le Pen était le directeur de campagne), ne recueille que 5% des voix à l'élection présidentielle de 1965) et est traversée par des multiples conflits de chapelles. Entre combat culturel (la Nouvelle Droite trouve son origine dans les groupes Europe-Action) et activisme étudiant au Quartier latin (Occident, Ordre Nouveau), l'extrême droite semble avoir déserté le terrain électoral.
Le Front national est fondé le 5 octobre 1972 sur le modèle italien du parti néo-fasciste du MSI qui a regroupé sous le sigle de la "Destra nazionale", les différentes familles de l'extrême droite, principalement les "nationaux" et les "nationalistes" selon la distinction communément admise. Ainsi c'est sur l'initiative de certains responsables de l'organisation nationaliste Ordre Nouveau qu'est créé le Front national dans l'objectif d'élargir leur organisation aux "nationaux" (dont Jean-Marie Le Pen) en vue des échéances électorales de 1973. Ce sont donc les nationalistes d'Ordre Nouveau qui contrôlent l'organisation, qui réunit tout ce qui fait l'extrême droite (anciens responsables de l'OAS, ex collaborationnistes, ex activistes étudiants) et même si elle n'arrive pas à réunir l'ensemble des courants de l'extrême droite de l'époque (monarchistes de l'Action française et solidaristes restent ainsi à l'écart). La première épreuve électorale du Front National est un échec cuisant : malgré un nombre important de candidatures, ses candidats ne recueillent que 0.52% des voix aux élections législatives de 1973. Cet échec ravive les sempiternels débats qui agitent l'extrême droite : le rejet du jeu démocratique et électoral, le retour à l'activisme physique et à l'agitation groupusculaire ou l'unification de l'ensemble des forces "nationales". Ce sont les termes du débat qui opposent Jean-Marie Le Pen et les chefs d'Ordre Nouveau lors du premier congrès du FN en avril 1973. Ce premier Front National prend rapidement fin avec la dissolution d'Ordre Nouveau (ON) par le gouvernement après le meeting sur le thème "Halte à l'immigration sauvage" à Paris le 21 juin 1973 où de violents affrontements opposent les nervis d'extrême droite aux militants de la Ligue communiste (trotskyste).
C'est en profitant de cette occasion que Jean-Marie Le Pen et ses proches prennent en main le Front National et excluent leurs opposants, les ex dirigeants d'Ordre nouveau, qui ont créé une nouvelle structure Faire Front. Au final, fin 1973, il y a deux FN : l'un présidé par Jean-Marie Le Pen, l'autre dirigé par Alain Robert, et c'est la justice qui est amené à trancher et à dire qui peut revendiquer la marque FN. C'est Jean-Marie Le Pen qui est déclaré vainqueur, mais le parti est exsangue et désormais concurrencé par un parti concurrent, le Parti des forces nouvelles (PFN), créé en novembre 1974 par des anciens d'ON et avec l'appui du GUD : Alain Robert, François Brigneau, Roland Gaucher, Jean-François Galvaire, Pascal Gauchon. Ce parti sera actif jusqu'en 1981 et concurrencera le FN dans l'univers restreint de l'extrême droite.
De son côté, Jean-Marie Le Pen se lance avec son nouveau parti dans la course présidentielle de 1974 (il a obtenu les 100 parrainages nécessaires) et ne recueille que 0.75% des suffrages exprimés. Dans leur lutte fratricide au sein de l'extrême droite, FN et PFN tentent d'attirer toutes les tendances et groupuscules de cette nébuleuse qui va des néo-fascistes aux catholiques intégristes en passant par les monarchistes. Ainsi Jean-Marie Le Pen agrège au FN au cours de ces années : l'ancien Waffen SS Pierre Bousquet et sa revue Militant, qui reste au FN lors de la scission, en 1974, François Duprat et sa mouvance nationaliste-révolutionnaire, en 1978, Mark Fredriksen, leader néo-nazi de la Fédération d'action nationale et européenne (FANE), en 1977, le courant solidariste (Jean-Pierre Stirbois) est intégré au FN, début 1980, le courant intégriste avec Bernard Antony, fondateur du mouvement Chrétienté Solidarité.
Malgré ce rassemblement de divers morceaux des petites chapelles d'extrême droite, le Front national reste un parti marginal : aux élections législatives de 1978 il ne recueille que 0.29% des suffrages exprimés (1.06% pour le PFN) et ne se présente pas aux élections européennes de 1979 (contrairement au PFN qui présente une liste qui récolte 1.33% des voix). A l'intérieur du parti, les luttes entre tendances d'extrême droite font rage : les nationalistes révolutionnaires perdent leur chef François Duprat dans un attentat en 1978, le groupe Militant quitte le FN en 1981 car le jugeant pas assez radical, les solidaristes progressent dans l'appareil du parti (JP Stirbois apparaîtra rapidement comme le n°2 du parti au début des années 80), alors que Jean-Marie Le Pen oriente les positions idéologiques du parti vers l'ultralibéralisme économique et autour de l'immigration et de l'insécurité. Lors des législatives de 1978, le slogan de la campagne du FN, trouvé par François Duprat, l'idéologue du mouvement, est "1 million de chômeurs1 , c'est 1 million d'immigrés de trop". A l'élection présidentielle de 1981, la concurrence fratricide entre FN et PFN, empêche leur deux leaders JM Le Pen et Pascal Gauchon de réunir les 500 signatures d'élus pour se présenter et, lors des législatives qui suivent, le FN réalise un de ses plus mauvais scores, 0.18% avec seulement 74 candidats (et 0.11% pour les 86 autres candidats d'extrême droite), alors qu'une partie de l'électorat de droite est sous le coup de la victoire de la gauche socialiste.
Ainsi, à l'orée des années 80, l'alternative pour l'extrême droite semble encore être la marginalisation groupusculaire (le FN) ou l'instrumentalisation par la droite classique (le PFN).
21/06/2024